La rencontre
Le poème agit ainsi un temps d’une autre dimension, un temps vertical, disait Roberto Juarroz. Il ajoutait à l’appui: « Bachelard a écrit que le temps de la poésie est un temps vertical… ».
Poésie verticale, pourquoi pas une peinture verticale ?
Toujours Juarroz, Nouvelle poésie verticale :
Où est l’ombre
d’un objet appuyé contre le mur ?
Où est l’image
d’un miroir appuyé contre la nuit ?
Où est la vie
d’une créature appuyée contre elle-même
Où est l’empire
d’un homme appuyé contre la mort ?
Où est la lumière
d’un dieu appuyé contre le néant
Dans ces espaces sans espace
est peut-être ce que nous cherchons.
L’espace est toujours ce que nous cherchons ; celui-là n’est jamais à trouver parmi les catégories reconnues, tous les « lieux » d’espace déjà inventoriés.
L’espace est à venir, tous ceux qui sont connus ont été explorés pour être ainsi désignés et nommés.
L’espace n’a ni épaisseur, ni étendue, même s’il possède épaisseur et étendue. L’espace vient de l’entre d’eux.
Pourrait-on assigner une dimension aux blancs de Cézanne, mesurer ceux de Mallarmé ?
L’espace vient aussi du pli, de la rencontre, de l’imprégnation d’une chose par l’autre, d’une attirance, de l’improbable trait d’un rapprochement.
L’espace vient de ce qui ne l’attend pas.
La peinture est proche de cette verticalité de la poésie qu’appelait Roberto Juarroz, dans la mesure où sa spatialité ne peut être cherchée que là où l’espace ne paraît plus possible; c’est quasiment à une autre dimension qu’il est fait appel, ainsi une sorte de théorème aux supposés incertains, dont la tenue verticale ne sera assurée, et encore pour un temps toujours limité, qu’aux modes d’une économie susceptibles d’effectuer ses objets.
Verticalité, frontalité du tableau.
Dresser une peinture, Les couleurs des tracés tirent la surface vers le haut.
Cela ne va pas sans difficultés, il faut s’accommoder, rassembler, et pour çà se jouer, avec les rapports de proximité des couleurs, des écarts et des tendances à la dispersion.
Retourner les manques pour qu’ils deviennent des forces.
J’ai un oiseau noir
pour qu’il vole la nuit.
Et pour qu’il vole le jour
j’ai un oiseau vide.
Mais j’ai découvert
que les deux se sont mis d’accord
pour occuper le même nid,
la même solitude.
C’est pourquoi, parfois,
je leur ôte ce nid,
pour voir ce qu’ils font
quand leur manque le retour.
Ainsi j’ai appris
un incroyable dessin :
le vol sans conditions
dans l’absolument ouvert.
Roberto Juarroz
Mars 2011